Cahiers, carnets et journaux...


Lundi 18 février 2013

"Chaque note, chaque ligne, chaque mot doit parler à autrui, devenir son murmure, l'arracher à sa solitude, à sa souffrance sinon il ne sert à rien d'écrire." (14/04/1980)

Le regard du coeur ouvert (la part commune, 2009) est un recueil de notes de carnets écrites par Joël Vernet entre 1978 et 2002.

J'aime beaucoup cet ouvrage, dont le titre éclaire si bien l'enjeu et le but du poète, dans sa vie même, donnée à l'écriture.
Nous entrons dans l'atelier du poète, univers gardé souvent secret, par humilité et pudeur, ajoutant encore une touche au halo mystérieux nimbant la création poétique, l'image et la place du poète parmi nous.
Oui, poétiser réclame du silence, de la solitude, un isolement; mais nécessite avant tout une immersion profonde et entière dans la vie, ses bruits, ses couleurs, ses folies, sa fureur. La vie dans tous ses aspects est vivier pour le poète, où puiser les ingrédients de la création.
Vernet partage cela comme il ouvre son coeur pour regarder la vie.
Le livre est présenté comme un journal, où les notes sont consignées sans être un simple brouillon. 
La forme fragmentaire et/ou aphoristique y est beaucoup utilisée. Elle concentre une idée et les mots, dans un format travaillé, pas anodin, au ton empreint d'une profondeur, d'une gravité, créant une émotion forte, 
Par elle, Vernet approche ce combat qu'est la poésie, dans son quotidien, le rôle de l'écriture pour lui et pour le monde qu'il parcourt la majeure partie de son temps entier consacré à l'écrit.
Il affirme la poésie comme mode de vie, dans lequel la flânerie parmi les gens, les mots est incontournable
"L"essentiel de notre vie n'est surtout pas dans l'obligation d'un travail mais plutôt dans son contraire : la flânerie, le désoeuvrement." (18/05/2000)

un mode de vie "obligatoire"
"Jamais je n'ai décidé d'écrire ou de ne pas écrire. Jamais, si peu que ce fut, il ne m'a été donné de choisir. Je n'ai fait qu'obéir. Pourtant, il n'y avait aucun maître. " (24/11/1979)

libre, de vivre, encore et toujours plongé dans la vie, la sienne, celle des autres, la vie malgré tout, les doutes, les blessures, la faille originelle
"Vivre dans l'incertain attise le feu de vivre" (30/01/1990)

en compagnie d'autres poètes, Reverdy, Char, Jourdan, Pessoa, Valéry, Augiéras, cités souvent comme autant d'âmes soeurs auprès de qui l'on se réfugie quand certains jours secouent un peu trop le fil tendu entre le coeur et le monde, sur lequel le poète avance sans regarder derrière ni en dessous. 

Ainsi le poète note ces mots, ces impressions, ces envies et objectifs, qu'il compulsera plus tard, dans son chez lui à l'écart, où il composera, poèmes, proses, essais...

Ainsi est le poète, dans son ampleur, dans son originalité, grains indispensables pour une nécessaire respiration. 







Vendredi 25 Janvier 2013


« Un poème, c'est de la langue sur une émotion qui rend muet. Il va contre ce mutisme, il est donc bien un exercice de lucidité, d'élucidation.»
   Je souhaite évoquer plus longuement l'ouvrage d'Antoine Emaz Cambouis, évoqué dans la première page de « cahiers, carnets, journaux ».
Sa lecture m'a profondément marqué car il appartient à ces rares livres levant le voile, volontairement, sur « l'atelier du poète ».

Nous avons là un recueil de notes, triées certes, extraites directement des carnets de l'auteur. Ces carnets dans lesquels il dépose la matière première de son travail, quotidien ou presque, de poète.
« Travail » oui, puisque la poésie pour Emaz est travail, exigent, intense, incertain.
Il note donc, beaucoup, ses impressions, ses émotions, ses interrogations, des bouts de quotidien. Il remplit son carnet,et peut nous en faire part, un peu.

Cambouis nous propose cet essentiel, présent dans les alentours, dans ce qui entoure, enrobe la vie du poète, avant son repli dans le silence pour travailler. Il nous montre l'importance de rester connecté au monde de l'écriture, de s'en nourrir aussi, par la lecture, des auteurs aimés (l'importance des poèmes et fragments de Pierre Reverdy), des nouveaux courageux ou insensés, dont il propose une critique partagée dans des revues (Triages ) ou sur des sites internet (Poezibao) ; le poète n'avance pas seul dans son aventure, il s'expose, suggère, voit ce que les autres proposent, partage ou pas.
Il questionne sans cesse, sa vie, sa manière d'appréhender le réel par la poésie, les mots des autres, leur façon de « brûler le réel » ( référence à Reverdy).
Tout ceci est essentiel pour construire sa voix propre, suivre sa voie. Qu'il partage lors de lectures publiques, d'échanges avec le public.
Nous découvrons quelques moments de sa vie, en tant qu'enseignant, mari et père de famille, peu mais suffisamment pour nous rappeler que le poète vit, est présent dans le monde, simplement comme nous tous sauf qu'il en ressent un peu plus fortement les égarements, les incongruités, les banalités...
"La vie reste ce qui détermine l'écriture."
Cambouis nous propose un aperçu détaillé du travail, de « la méthode de création ». Le poème vient une première fois, à l'état brut, les mots sont « dictés » à la main qui écrit; puis après une période plus ou moins longue de mise au repos, l'auteur reprend l'œuvre, travaille au corps l'ensemble de mots, élimine, dégrossit « élague »cet amas pour en obtenir quelque-chose, qui lui va, qu'il jugera lisible et fidèle à l'émotion de départ.
Sa poésie est une poésie de l'économie, du vers bref, des mots simples. Dans une interview réalisée par T. Hordé en 2007, il explique que« Le travail sur les poèmes consiste toujours à enlever, jamais à ajouter. La matière au départ dans mes carnets est toujours trop importante, il faut supprimer. Même chose au niveau des mots: je cherche systématiquement les mots les plus courts. (…). Pas un mot trop abstrait non plus (…). Aller à ce qui est le plus simple et le plus court. ». 
L'on découvre cela en détail dans ce livre, sous ce format, ces notes au jour le jour qui nous parlent enfin des moments de doute, de questionnements, de panne... le poète n'écrit pas de poèmes en permanence, il se repose, il prête attention au corps, caisse de résonance face au monde, dans le monde, ce corps vieillissant qui s'use. Mais il note beaucoup, toujours, écrit en somme dans ses carnets, ne lâche pas.  
"Peut-être que j'ai fait le tour de mes possibles. Peut-être. Je ne le sens pas ainsi. Voilà pourquoi je m'obstine, et souffre."  




Mercredi 23 janvier 2013

Joël Vernet


"L'ample respiration, la joie du regard suscite l'écriture, c'est  à dire la trace chantée par le réel sur les pages de l'étroit carnet."
J'ai découvert ce poète cet été, en lisant son Journal fugitif au Moyen-Orient, vers Alep, publié par les éditions le temps qu'il fait en 2012.

Vernet est un voyageur, un bourlingueur, solitaire, un connaisseur de l'Asie et surtout de l'Afrique. Dans ce texte, il évoque pour nous la Syrie des années 1999-2001. Il nous emmène parmi les paysages, les gens de cette région finalement pas si bien connue que cela, hors les reportages d'actualités souvent guerrières. 
Il est un poète, il se promène, nous emmène dans une pérégrination ayant pour objectif de témoigner mais pas que. Il est là, tout entier dans ce pays, et en même temps il s'efface. 
Nous le suivons, nous découvrons, des visages, une culture, des lieux, de la vie et des ruines. Il nous guide, nous regardons, nous notons, nous imaginons grâce à cette prose simple et travaillée, aussi par l'entremise des quelques photographies, nous pensons en revoyant défiler les images actuelles de ce pays en crise, nous nous interrogeons. 
tel peut être le rôle du poète de nous apporter cela, des mots, pas trop, sur un réel troublé.

J'aime dans cet ouvrage cette façon d'être parmi le monde, marcheur, faisant face,venant avec quelques bagages, un carnet, des livres, de compagnons poètes.
"J'ai une chambre avec vue sur les ruines. Ce modeste destin m'enchante. Je me réchauffe le sang en ingurgitant des litres de thé; je déambule; je griffonne. Tranströmer m'entraîne dans ses paysages de neige et de vide. Je lève les yeux sur le désert tout en écoutant le brame des cerfs, le galop des troupeaux de rennes qui traversent les pages. Étrange paradoxe. Le froid est vif et me pince les oreilles. Le livre me chuchote non seulement des phrases mais aussi des montagnes, des forêts, des étendues."

 Vernet n'est pas si seul dans cette aventure, il lit, parle, écrit surtout pour partager. Il griffonne "en fugitif", il retravaillera son matériau au calme dans son refuge et fera livre, pour nous lecteurs. 
Dans ce texte, Vernet nous propose des images, mais aussi une pensée, une vision de l'écriture toujours reliée au monde, jamais détachée d'une histoire personnelle. Il nous rappelle pourquoi certains écrivent, pourquoi ils doivent le faire, encore. 

Une prochaine fois, je parlerai d'un autre ouvrage de Joël Vernet, Le regard du coeur ouvert, des carnets 1978-2002...


Lundi 21 janvier 2013


   J'ouvre une nouvelle page au blog, consacrée aux carnets, cahiers et autres journaux des auteurs, publiés de leur vivant ou édités de manière posthume.
Ces ouvrages permettent d'approcher le travail du poète dans sa « cuisine », les mains dans le « cambouis » (pour reprendre deux titres de textes d'Antoine Emaz).
En tant que lecteur et poète, j'aime flâner parmi ces notes multiples et variées, journalières, pas toujours régulières, parfois longues et emplies d'éléments nourrissant ma recherche, parfois succinctes ne laissant voir que le quotidien « banal » du poète seulement, surtout humain.
Nous plongeons sans effraction dans un univers, un ensemble d'ambiances, de lieux, de visages, d'objets entourant le poète baignant sa recherche souvent incertaine d'émotions, arrangeant un cadre au sein duquel l'auteur s'installe, se met en retrait et travaille dans l'attente du poème.

La magie des mots alignés et faisant mélodie envoûtante ou sublime image n'est permise non sans répit à l'auteur, travaillant souvent sans relâche les mots, les vers, pour offrir au lecteur un poème, pouvoir surtout le partager avec lui, avec eux, les plus nombreux possibles.

« On idéalise trop l'écrivain. On n'a en tête que l'auteur reconnu, en représentation, l'image ou l'icône... C'est méconnaître tout le côté cambouis ou cuisine de cette activité. Il suffirait, pour corriger le tir, de lire les carnets, journaux, correspondances... » note ainsi très justement Antoine Emaz dans Cambouis... 
Sauf à vouloir se contenter d'une part de mystère, se nourrir uniquement du produit fini, en lectures infinies...

Je ne peux me passer des deux versants, probablement parce que j'écris et essaie depuis des années de créer ma poésie, ma mélodie propre. Je ressens ce besoin de lire et comprendre comment les autres entendent battre leur cœur de poète, de quelle manière ils en vivent et, souvent, tentent d'en tirer la substance essentielle libérée en quelques mots, une strophe, un poème.
Je souhaite donc partager ce goût avec les lecteurs du blog, vous donner envie de lire ce genre là d'écriture, y trouver réponse à certaines de vos rêves, de vos envies, de vos doutes.
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